L’économie circulaire cherche ses marques

Quand les entreprises veulent du pragmatisme

Le 25 octobre dernier, l’Hôtel de Roquelaure a ouvert ses portes à six associations d’entreprises lors du colloque : « Economie circulaire : les entreprises dans la boucle ». Sur fond de révision de directives européennes et du projet de loi sur l’économie circulaire prévu début 2019 en France, le monde de l’entreprise était ainsi convié dans les locaux du ministère de la Transition écologique et solidaire pour présenter ses engagements. Face à Brune Poirson, secrétaire d’État, les acteurs économiques ont défendu leurs positions et confronté leurs approches.

Après les discours et la feuille de route sur l’économie circulaire, place à l’action. Avant même que le projet de loi entre en jeu d’ici au premier trimestre 2019, les entreprises travaillent déjà au quotidien pour répondre aux objectifs réglementaires. Brune Poirson était là pour les entendre mais a souhaité tout d’abord exprimer les attentes du gouvernement en matière d’économie circulaire et de transition écologique à l’égard de tous les acteurs de la société civile. Tout d’abord, un petit signal clair a été lancé en faveur de la valorisation énergétique : « on m’a fait porter l’idée que j’étais contre l’incinération, mais cela est faux. Il s’agit d’une source d’énergie renouvelable indispensable, et complémentaire au recyclage ». La secrétaire d’État a insisté sur le fait que les collectivités locales engagées dans l’économie circulaire allaient voir leurs charges baisser grâce à un paquet fiscal avantageux. Pour ce faire, à partir de 2022, les parlementaires seront amenés à détailler l’évolution des charges impactées par l’économie circulaires et ajuster ces charges en conséquence. Brune Poirson a également évoqué la mise en œuvre de nouvelles REP en 2020 et souligné la nécessité de recentrer la gouvernance des éco-organismes, en veillant notamment à ce qu’ils assument leur part de responsabilité, et l’atteinte des objectifs. Auquel cas, des sanctions pourraient tomber. Les encouragements à l’éco-conception et à la recyclabilité à travers le dispositif de bonus-malus doivent permettre de franchir une nouvelle étape, explique-t-on au ministère.

Brune Poirson

Autour de la table pour évoquer leurs engagements et faire part de leurs souhaits à la représentante du ministère de l’Ecologie, l’Afep (Association française des entreprises privées), C3D (Collèges des directeurs du développement durable), EpE (Entreprises pour l’environnement), France Industrie, INEC (Institut national de l’économie circulaire) et Orée ont promu l’approche pragmatique des entreprises pour plus de circularité. En témoigne l’Afep qui a présenté le premier bilan annuel de 33 entreprises investies dans l’économie circulaire à travers une centaine d’actions. Pour François Soulmagnon directeur général de l’Afep, cela concrétise les engagements pris par les grandes sociétés sur le long terme, comme Total, l’Oréal, Saint-Gobain ou encore Eiffage, Crédit Agricole : « L’intérêt de cette démarche se trouve dans le suivi régulier de leurs actions, et les publications de leurs avancées ». Reste que la crédibilité environnementale d’une entreprise, surtout si elle est de taille internationale, ne peut se limiter à quelques actions ciblées menées sur le territoire français, sans tenir compte de l’empreinte environnementale laissée ou pas, dans tous les pays où l’entreprise est implantée.

L’État doit donner l’exemple

 

« Tous ces objectifs ne pourront être atteints que si en face, il existe un marché de la demande, rappelle Philippe Darmayan, vice-président de France Industrie. En particulier, celle venant des pouvoirs publics. Les achats responsables doivent être au coeur d’une démarche qui associe étroitement partenaire publics et privés, pour garantir notre compétitivité ». Pour cela, certains freins doivent sauter pour rendre accessibles des matériaux toujours considérés comme des déchets. Même son de cloche du côté du C3D. Pour son président Fabrice Bonnifet, la mise en place d’une offre en adéquation avec l’économie circulaire doit être facilitée par la sortie de statut de déchets et un renforcement de la demande dans le cadre d’achats plus responsables. Une contractualisation entre l’État et l’industrie est de ce fait incontournable, car actuellement, les éco-variantes restent peu accessibles.

L’engagement de 33 entreprises

De son côté, l’association EpE vient de publier en collaboration avec l’Institut de l’économie circulaire, une série d’indicateurs pour aider les entreprises à s’inscrire dans un nouveau modèle et à recourir aux bonnes pratiques. Selon Pierre Victoria, secrétaire du bureau de l’association EpE, l’économie circulaire ne doit pas se limiter au recyclage des déchets, mais s’étendre à un ensemble de paramètres qui touchent à l’économie de la fonctionnalité, du partage et à l’éco-conception. Cette remarque pourrait viser les actions politiques actuelles centrées essentiellement depuis quelques mois sur le recyclage des déchets et des taxes incitatives : « A travers les indicateurs proposés aux entreprises – l’analyse de cycle de vie ou de flux de matière, le taux de recyclabilité, l’emploi d’énergies renouvelables, l’éco-conception des produits, etc. – l’enjeu est de mesurer la performance économique mais aussi les effets environnementaux des démarches d’économie circulaire sur l’évolution des émissions, de la consommation de matières, d’eau et d’espace ». François-Michel Lambert, président fondateur de l’INEC est plus radical, en appelant l’économie circulaire à sortir du giron du ministère de l’Ecologie pour être plus efficace et plus visible : « l’économie circulaire doit se rapprocher du ministère de l’Economie pour être mieux entendue par le monde de l’entreprise, ou sinon être directement sous la tutelle du premier ministre ». Cette proposition n’est d’ailleurs pas nouvelle dans la bouche du député des Bouches-du-Rhône, depuis le lancement de la feuille de route (FREC) et surtout le départ du ministre d’État, Nicolas Hulot, en septembre dernier.

Gestion des risques

 

Pour une économie circulaire pragmatique et efficace, il faut selon Patricia Savin, présidente de l’association Orée, réfléchir rapidement à la gestion des flux de déchets issus de la déconstruction, notamment les terres inertes, qui aujourd’hui ont toujours le statut de déchet, et encourager le réemploi de matériaux en assouplissant le régime d’assurabilité. Ces normes sont des zones d’angoisse qui nous empêchent d’aller de l’avant, assurent la plupart des chefs d’entreprises. « Nous ne voulons pas plus de réglementation. Celles qui existent déjà devraient tout d’abord être mieux harmonisées au niveau européen et national, explique Patricia Savin, avocate experte en droit de l’environnement. Aujourd’hui, cela aboutit souvent à des silos incohérents, contraignants et à des situations juridiques contradictoires avec la transition écologique ».

En savoir plus :

Les indicateurs de l’économie circulaire

Engagement de 33 entreprises de l’Afep

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