Façonnée par la transformation digitale, l’impression 3D et la robotisation de la production, l’industrie du futur se cherche aussi de nouveaux modèles économiques plus durables. Comme l’exprime le Premier ministre Edouard Philippe, lors du Conseil national de l’industrie du 22 novembre au Grand Palais : « l’économie circulaire ne doit pas être une contrainte mais un atout pour plus de compétitivité ». En face, les étudiants de business school y sont sensibles. L’économie circulaire vient d’entrer au programme de l’ ESCP Europe et ce n’est pas un hasard.
Pas facile de bouger le curseur, quand on s’attaque à des institutions qui ont plus d’un siècle et ont construit leur renommée sur l’enseignement de la finance, de la gestion pure et dure, basée sur des modèles économiques classiques. Et pourtant, des mutations dans l’enseignement sont en train d’émerger au coeur même de la « business school ». Les futurs cadres commerciaux ou dirigeants qui aujourd’hui entrent dans ces écoles de management n’auront sans doute plus la même approche de l’entreprise que leurs prédécesseurs. Depuis quatre ans, certains établissements comme l’ESCP Europe (Ecole supérieure de commerce de Paris) ont pris le sujet à bras le corps, pour concevoir et enseigner un nouveau type de management. Fondée en 1819, l’ESCP Europe dispense des formations de management général et spécialisé (Bachelor, Masters, MBA, Executive MBA, Doctorat-PhD et formation continue) sur six campus européens à Berlin, Londres, Madrid, Paris, Turin et Varsovie. Cette école accueille chaque année 5000 étudiants et 5 000 cadres-dirigeants de plus de 100 pays différents.
Re-Think invite à repenser les modèles actuels
Il y a trois ans, l’ESCP Europe a créé dans le cadre du Master in Management (Grande Ecole), une majeure baptisée Re-Think – innovation sociale, modèles économiques alternatifs et durabilité. A ce jour, ce sont trente étudiants de la grande école et une quarantaine provenant du Master of Science in International Sustainability qui suivent cet enseignement basé sur la réflexion, l’action et l’esprit critique. L’objectif a terme est de généraliser ces cours à l’ensemble des cursus proposés en touchant des disciplines comme le marketing, les ressources humaines ou bien l’entreprenariat.
« Il est nécessaire de changer nos outils d’analyse et de porter un nouveau regard sur l’entreprise qui joue davantage un rôle politique dans notre société, exprime Aurélien Acquier, responsable de cette majeure (photo). Nous partons en général d’exemples d’engagements volontaires industriels pour réfléchir sur la place de l’entreprise qui choisit de s’impliquer dans des actions, au-delà du simple profit ». De plus en plus sollicitées par les étudiants, ces thématiques environnementale et sociétales sont pourtant encore mal cernées. Dans cette optique, l’ESCP Europe a choisi de construire plusieurs de ses cours sur l’économie circulaire en faisant appel à des témoins, entreprises mais aussi acteurs publics. Ceux-ci viennent partager leurs expériences avec les étudiants et les sollicitent parfois dans le cadre de partenariats de R&D. C’est le cas de Coca-Cola Packaging, H&M et Eco-TLC, l’institut de l’économie circulaire, mais aussi de jeunes entreprises innovantes comme Phenix sur le gaspillage alimentaire. Des visites d’usines ou des voyages d’études sur des parcours déchets sont également envisagés.
Une chaire comme plateforme d’innovation
« La gestion des ressources, l’éco-conception à travers l’analyse de cycle de vie, la durabilité des produits ou bien les économies d’usage sont des sujets majeurs dans nos sociétés et nous devons les enseigner à nos étudiants pour mieux les armer dans leur futur parcours » souligne Aurélien Acquier. C’est aussi pour cette raison, que l’école ESCP vient de s’associer au cabinet d’études Deloitte pour créer une chaire « Economie circulaire & business models durables ».Cette chaire a pour objectif d’étudier, identifier et analyser les verrous qui empêchent les entreprises de déployer un modèle 100 % circulaire, au sein même de leur organisation et au-delà (pouvoirs publics et éco-organismes, consommateurs). Ce partenariat peut dans le cadre de travaux collaboratifs accompagner les entreprises en quête de changements dans une démarche d’économie circulaire. Cette chaire est perçue comme une nouvelle plateforme académique au service de l’entreprenariat, pour aborder des sujets cruciaux comme par exemple, la préservation des ressources, l’utilisation durable des matières premières, mais aussi la place de l’innovation technologique dans ces mutations économiques.
C’est une question interdisciplinaire
Aurélien Acquier, l’un des deux professeurs responsables de cette chaire avec Valentina Carbone, estime qu’il est important à ce titre de s’interroger sur le statut du high-tech et du low-tech, comme réponses aux questions d’économie circulaire : « nous souhaitons offrir plus de visibilité à ces questions au sein de l’école et dans son écosystème. L’économie circulaire interroge tous les métiers de l’entreprise et se situe au carrefour de la stratégie, de la gestion de la supply chain, de l’environnement, de la comptabilité, du marketing, du droit ou du design de produits. C’est aussi une question fondamentalement interdisciplinaire ».
La chaire rayonnera sur l’ensemble des six campus de l’ESCP, et devrait démarrer ses premiers travaux d’ici à quatre mois. Pour Didier Livio, associé responsable de Deloitte Développement Durable, il est temps d’intégrer l’enseignement des nouveaux business models dans l’ensemble des disciplines. « Cette chaire s’inscrit dans notre tradition de R&D. Nous souhaitons avec cette école de commerce, créer des leviers en vue d’une mutation des modèles, avec deux objectifs : mettre au point de nouveaux outils pour aider nos entreprises clientes actuelles et préparer les dirigeants de demain ».
Un laboratoire à l’échelle d’un département
Depuis 25 ans, le développement durable s’est immiscé dans l’entreprise et dans les écoles supérieures mais de façon cloisonnée et enseignée souvent comme une culture supplémentaire. « Aujourd’hui, l’économie circulaire implique l’engagement de tous les acteurs de notre société. Pour ce faire, il faut d’abord résoudre toutes les controverses naissantes et anticiper les freins » souligne Didier Livio. Deloitte travaille sur ces thématiques depuis une quinzaine d’années. Après le rachat de Bio Intelligence Service il y a sept ans et du cabinet Synergence en 2015, Deloitte emploie 140 personnes dans le développement durable en France et 1000 dans le monde. Depuis 2016, Deloitte Développement Durable accompagne les entreprises de A à Z, en réfléchissant sur leur stratégie environnementale et sociale, jusqu’à leur mise en oeuvre. Ces démarches nécessitent pour Deloitte des investissements importants en R&D, soit 15 % de son activité. Cela passe par des projets collaboratifs et des partenariats scientifiques, avec l’ESCP Europe par exemple, mais aussi sous une forme plus transversale, avec l’université de Bourgogne-Franche-Comté (UBFC). Depuis deux ans, le cabinet d’études travaille avec cinq laboratoires de l’UBFC sur l’évolution des modes de vie à l’échelle du département de la Côte d’Or.
Comment faire évoluer les comportements rapidement ?
L’ambition de ce chantier est d’identifier les facteurs et les actions capables d’orienter rapidement les comportements vers de nouveaux modèles économiques durables. Baptisé Futurs 21, cette plateforme de recherche, première du genre en Europe, va permettre d’étudier grandeur nature, sur un territoire de 550 000 habitants, les leviers et les freins sociologiques, économiques et environnementaux, dans plusieurs domaines comme l’alimentation, la mobilité ou les gestions de ressources. Le choix de ce département n’est pas anodin. La Côte d’Or est un peu la France en miniature, souligne Didier Livio : « on y retrouve un peu tous les contextes socio-économiques du pays, associant une agglomération urbaine importante, un tourisme mondial, un monde rural riche et des zones désertées ». Ce projet côte-d’orien devrait être le terrain d’exploration idéal pour aider les étudiants de l’ESCP Europe à tester de nouveaux outils de management.
Crédit : ESCP Europe
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