Le ministère de l’Ecologie présente son économie circulaire

Enthousiasme prudent face à un projet de loi mal ficelé

Depuis plusieurs semaines, le projet de loi sur l’économie circulaire fait couler beaucoup d’encre. Avant même sa présentation au Conseil des ministres par le ministère de l’Ecologie, quelques thématiques phares sont sorties du lot, suscitant débats. Après les invendus non alimentaires, la consigne a été placée sous les feux des projecteurs, considérée d’un côté comme le plus bel outil pour augmenter le recyclage et de l’autre, comme source de bouleversements à venir. Ce 10 juillet 2019, le projet de loi a été rendu officiel. Les réactions se sont poursuivies au sein des corporations, à la fois enthousiastes et circonspectes.

En présentant à la presse son projet de loi, la secrétaire d’État du ministère de l’Ecologie, Brune Poirson a planté le décor : « on a commencé à s’intéresser au recyclage des déchets il y a trente ans et depuis, le dispositif ronronne et n’a jamais été finalement pensé pour aller chercher 90 % des plastiques en vue d’un recyclage ». Il est temps de faire évoluer le système actuel et pour cela, une concertation a été organisée depuis 18 mois avec tous les acteurs de la société, a-t-elle ajouté, à travers un comité de pilotage et celui-ci devrait se poursuivre notamment sur la consigne. A vérifier sur le terrain. En attendant, les mesures annoncées n’ont pas laissé de marbre.

Plasturgie sur ses gardes

Particulièrement visée par le gouvernement français, la filière de la plasturgie n’a pas attendu pour réagir au projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Chaque organisation y allant de son avis et de ses propositions avant l’heure. PlasticsEurope (organisation européenne des producteurs de plastiques) accueille favorablement le projet de loi mais s’inquiète de certaines dispositions . « Nous devons collectivement viser une collecte à 100% des déchets plastique, en finir avec les dispersions dans l’environnement et, ensemble, atteindre une valorisation à 100% de ces déchets plastique collectés. Ces objectifs sont en ligne avec l’engagement volontaire des producteurs européens de matières plastique pris dès janvier 2018, d’atteindre 60% d’emballages recyclés en Europe en 2030 et 100% de réutilisation ou valorisation (recyclage + valorisation énergétique) en 2040 » déclare Eric Quenet, directeur général de PlasticsEurope, région Ouest Europe.

L’organisation s’interroge toutefois sur des mesures comme la consigne qui ne doit pas remettre en cause l’extension des consignes de tri des emballages plastique ménagers généralisée en 2022 à tous les ménages français. Elle doit être complémentaire au système en cours, et non entrer en concurrence avec lui. Et de prendre l’exemple des Côtes d’Armor, où 8 bouteilles sur 10 sont ainsi collectées séparément et triées. Cette consigne des bouteilles aurait du sens pour les emballages boissons hors foyer, qui échappent à la poubelle de tri sélectif des ménages. De même l’incorporation de matière recyclée doit se faire sur la base d’un volontariat et non d’une contrainte. Si le projet de loi transpose l’obligation inscrite dans la Directive européenne sur les produits plastique à usage unique (incorporation de 25% de plastique recyclé dans les bouteilles pour boissons en PET d’ici à 2025 et de 30% dans toutes les bouteilles en plastique pour boissons d’ici à 2030), elle permettrait de l’étendre à d’autres produits plastique. Si des taux d’incorporation obligatoires devaient in fine être fixés pour certains produits, ceux-ci devront combiner ambition et réalisme, insiste PlasticsEurope.

Temps industriel et médiatique

 

Selon Françoise Andrès, la présidente d’Elipso (association professionnelle qui représente les fabricants d’emballages plastiques rigides et souples en France), « ce texte ambitieux et fort, est un véritable Big Bang qui va bouleverser en profondeur le monde des déchets. Elipso en partage l’ambition pour accélérer et optimiser la collecte et le recyclage des emballages plastiques. Les emballages usagés ne doivent plus être perçus comme des déchets mais comme une ressource et traités comme tels ». Toutefois, la collecte de 100% des emballages doit passer par la finalisation de l’extension des consignes de tri sur l’ensemble du territoire, et par l’instauration d’une nouvelle REP pour les emballages industriels.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit la possibilité d’imposer un pourcentage minimum d’incorporation de matière recyclée pour la mise sur le marché de certains produits. Françoise Andrès souligne que « l’accès à la matière plastique recyclée est l’enjeu de demain pour les producteurs d’emballages plastiques ». La mise en place de dispositifs de consignes et la nouvelle organisation de la collecte des emballages (ménagers et industriels) doivent favoriser cette démarche. Toutefois, la loi doit également soutenir le déploiement des nouvelles filières de recyclage plastique (film PP, PS, …) et encourager l’innovation (recyclage chimique, …) dans un secteur en pleine mutation. Elipso soutient la REP qui favorise le recyclage via les éco-modulations (bonus/malus) mais la présidente souhaite un débat apaisé sur les emballages plastiques : « notre secteur innovant s’inscrit pleinement dans le champ de l’économie circulaire. Le temps industriel est plus long que le temps médiatique ».

Intégration de matière recyclée

 

De son côté, la Fédération de la Plasturgie et des Composites salue la démarche politique : « nous soutenons activement un projet de loi ambitieux, qui va favoriser une approche responsable des plastiques. Ce sont des matériaux clefs de la transition écologique, car ils sont recyclables et permettent de limiter notre impact carbone », affirme Benoit Hennaut, président de la fédération. Les plasturgistes poursuivent les efforts initiés dans le cadre de la FREC (Feuille de route économie circulaire) et conçoivent de nouvelles solutions, ajoute-t-il. « Trier et recycler les plastiques usagés représente un incroyable levier. Mais cet effort doit être porté aussi bien par les industriels, que par les particuliers. C’est ainsi que cessera l’amalgame entre plastiques et déchets », poursuit-il. La fédération se félicite de l’accélération impulsée vers une meilleure collecte, impactant positivement la production et l’utilisation de plastiques recyclés. « Il y a un enjeu de disponibilité des matières qui va nécessairement peser sur les entreprises, mais un système de bonus/malus aveugle pourrait s’avérer lourd de conséquence pour les entreprises. De plus, l’incorporation de plastiques recyclés avec des taux réglementés doit s’accompagner de contrôles à l’importation et d’un système de mesure. Nous y travaillons actuellement au niveau européen avec le dispositif MORE », explique Benoît Hennaut. La fédération appelle au dialogue concernant la mise en place des REP. « Tous les secteurs ne peuvent pas être impactés de la même manière. Dans la filière du bâtiment par exemple, de nombreuses initiatives innovantes sont déjà proposées par les acteurs : elles nécessitent d’être mises en oeuvre et évaluées avant d’imposer des mesures qui viendraient alourdir le dispositif. Ce qui est adapté au secteur de l’emballage ne l’est pas nécessairement pour l’ensemble des secteurs de la plasturgie ».

Le bâtiment veut autre chose qu’une REP

Les professionnels du bâtiment semblent un peu plus remontés contre le projet de loi. Engagés dans l’organisation de la reprise des déchets, depuis le 1er janvier 2017 en vertu de l’article 93 de la loi Transition Energétique pour une Croissance Verte, les distributeurs de matériaux de construction proposent aujourd’hui plus de 4 400 solutions à leurs clients sur 2 700 points de vente. Le projet de loi impose la reprise « sans frais » des déchets du bâtiment « lorsqu’ils font l’objet d’une collecte séparée ». Pour Franck Bernigaud, président de la FNBM (Fédération de négoce de bois et de matériaux de construction), les distributeurs de matériaux de construction ne sont désormais plus les seuls concernés par la reprise des déchets du BTP. « L’ensemble de la filière est impacté par un texte qui instaure un système de REP à défaut de système équivalent. Une filière REP doit prévoir une éco-contribution applicable jusqu’au client final, sans quoi il faudra bien absorber le coût et il n’est pas question que les distributeurs de matériaux de construction et de bois fassent les frais de la reprise des déchets ». La FNBM devrait mettre tout en œuvre pour convaincre le gouvernement et les parlementaires de son implication dans tout système équivalent de prévention des déchets et en appelle à un renforcement de la police des déchets en matière de dépôts sauvages.

Papetiers inquiets

 

L’industrie des cartons et du papier, à travers Copacel, exprime plusieurs inquiétudes. En particulier vis-à-vis de la performance sur le recyclage. Alors qu’en France près de 80 % des déchets de produits papiers/cartons sont recyclés, des dispositions du projet de loi pourraient aller à l’encontre de l’économie circulaire. Certaines mesures sont rédigées pour traiter certains déchets particuliers, comme ceux composés de résines plastiques. Dans certains cas, ces rédactions ne sont pas adaptées aux matériaux papiers et cartons. Le projet de loi prévoit que la mise sur le marché d’un produit peut être subordonnée à l’intégration obligatoire d’un taux de matière recyclée. Cette obligation peut être pertinente pour les matériaux utilisant des matières premières fossiles, mais serait inadaptée aux matériaux provenant de ressources renouvelables (comme la cellulose issue du bois). L’article 8 sur les REP vise à donner un cadre unique à des filières très différentes (matériaux de construction, mégots de cigarettes, emballages, articles imprimés…). Ce traitement uniforme des différentes filières est en réalité source de confusion juridique pour chaque filière prise individuellement. Copacel souhaite que les conséquences de ces nouvelles règles soient précisément évaluées pour chaque filière.

Papiers en centre de tri

Par ailleurs, l’industrie papetière est préoccupée sur la possible mise en place d’une consigne pour les emballages de boisson, sans étude d’impact partagée ni concertation préalable. Le fait que les emballages de boisson ne soient plus traités par les centres de tri induira pour eux une perte de recette, de sorte que les coûts de ces installations seront supportés par les autres matériaux. Dans le cadre de la filière REP concernant les papiers graphiques, l’article modifiant la contribution payée en nature doit être complété, selon Copacel. Il est légitime que la presse sensibilise le consommateur au geste de tri et au recyclage de tous les déchets. Toutefois, le financement de cet effort de communication ne doit pas reposer sur la seule filière des papiers graphiques mais sur toutes les filières à hauteur de leur poids respectif.

Bouteilles de lait à la consigne

Certains consommateurs industriels de matières plastiques ont pris les devants. Lactel a profité de la présentation ministérielle pour lancer Recyc’Lait, une collecte de bouteilles de lait en machines à consigner. Cette opération est réalisée en partenariat avec la start-up Lemon Tri, et débutera à l’automne. Pour chaque bouteille de lait collectée en Pehd (Lactel ne mentionne pas le PET opaque), quelle que soit la marque, le consommateur aura le choix entre recevoir un bon de réduction ou faire un don à l’association partenaire. Les machines voyageront dans trois grandes villes pour collecter les bouteilles de lait vides dans les supermarchés à Lyon en septembre-octobre, à Nantes en octobre-novembre puis à Paris en novembre-décembre.

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